Chroniques

LA PLUME DU FAUCON

Vous trouverez ici plusieurs articles traitant principalement des tendances sociales reliées à la vie de couple. M. Leblanc est chroniqueur pour divers journaux et magazines et son style d’écriture a beaucoup fait parler de lui. Sujets chauds, saupoudrés d’humour, il aura bonne plume pour chacun des lecteurs.

CHRONIQUE
Célibataire, comment gérer la pression sociale? (publiée le 7 juin 2017)
On compterait environ 13 millions de célibataires en France selon l'Insee. Certains par choix, d'autre pas. S'il est désormais admis que l'on peut-être seul(e) et épanoui, les pressions sociale et familiale restent fortes. Comment supporter ces injonctions souvent intrusives?
"Et toi, toujours personne dans ta vie?" Tout célibataire finit un jour par avoir droit à "la" question. "Elle émane de nos parents, mus par une inquiète sollicitude, d'une bonne copine au sourire complice, de notre petite soeur qui va bientôt se marier et s'avoue embarrassée de nous griller la priorité, de quelqu'un pris dans la foule des gens qui eux vivent accompagnés", écrit la psychanalyste Sophie Cadalen, dans Tout pour plaire... et toujours célibataire, publié chez Albin Michel. "Toujours personne dans ta vie?" Cinq petit mots qui viennent rappeler, s'il était nécessaire, que l'on n'entre pas dans les cases, dans le sacro-saint modèle du couple, certes moins incontournable qu'il y a cinquante ans mais encore alpha et omega du bonheur pour beaucoup. 
La pression sociale est-elle encore un poids pour ceux qui, par choix ou non, vivent seuls? Comment faire en sorte que les injonctions extérieures ne viennent pas enfoncer le clou alors qu'on ressent soi-même de l'angoisse à l'idée de ne pas trouver l'âme soeur? Comment expliquer à son entourage que tout irait très bien, merci, si ce n'était le regard des autres? Témoignages. 

Le couple, un modèle qui prévaut encore
"Le couple reste le modèle standard, relève Sophie Cadalen dans son ouvrage. Le célibat est toléré quand il est transitoire mais quand il constitue un choix ou qu'il s'installe, cela devient suspect. On soupçonne un problème chez l'autre." "Parfois les mots n'ont même pas besoin d'être dits, ils planent, latents, comme un point d'interrogation en suspens qu'il nous conviendrait d'effacer", ajoute-t-elle. Tout porte ainsi hélas à croire qu'un célibataire peut bien afficher "un job passionnant, un carnet d'adresses rempli d'amis fidèles, une vie prodigue en plaisirs de toute nature, il lui manque aux yeux du monde un élément essentiel, une femme ou un homme avec qui partager le quotidien."  
"Je vis plutôt bien le fait de vivre seule, témoigne ainsi Elise, 28 ans. Mais dans la vie de tous les jours, le regard des autres est parfois ultra pesant. Actuellement, je visite des appartements et bien qu'ayant un salaire très confortable, les agents immobiliers me regardent avec suspicion quand j'explique que non, je n'ai pas de compagnon et que non, ce n'est pas une colocation. Idem pour partir en vacances, c'est bien plus compliqué d'acheter un voyage seule plutôt qu'à deux. Comme si la société n'avait pas du tout intégré la possibilité qu'on puisse s'assumer." 
La pression vient souvent des proches

"On me gave sans arrêt avec le célibat, enfin le mien surtout. Les parents du bout des lèvres, les amis de manière plus insistante et les collègues de boulot sont carrément indiscrets!", déplore pour sa part Marine, 39 ans, célibataire depuis quatre ans. Maman solo et célibataire depuis trois ans, Vanina confirme qu'on lui rappelle sans cesse sa "condition". "Tous les jours ou presque on me demande quand je vais me mettre à chercher. Mes filles aussi mais pour d'autres raisons. J'ai même eu droit aux inscriptions sur des sites Internet sur lesquels je n'irai jamais."  
Des questions souvent maladroites mais bienveillantes
Des comportements intrusifs qu'il ne faut pas forcément prendre de manière négative, conseille la psychologue Cécile Neuville. "Souvent, même maladroites, ces questions relèvent de la bienveillance, de l'envie de montrer son intérêt, d'aider le ou la célibataire, parce que oui, pour beaucoup, le couple est la clé du bonheur, quand bien même ces personnes en couple d'ailleurs ne sont pas particulièrement heureuses."  
"Il y a aussi un certain égoïsme qui peut expliquer cette insistance, le sentiment que les choses seraient probablement plus faciles avec ce ou cette proche s'il était "comme nous". Un peu comme lorsqu'on vient d'avoir un enfant et qu'aucune de nos amies n'est encore maman. Pas facile alors d'échanger sur ce que l'on vit!"  
Autre explication à cette "obsession" extérieure à caser les célibataires, "un besoin de se rassurer quant à ses propres choix", ou de conjurer ses peurs. Virginie, quadra solo maman de deux enfants, l'exprime très bien: "Alors même que je suis très à l'aise avec mon célibat, on me rabâche que quand mes fils partiront, je serai seule. Ou comment projeter ses propres angoisses!"  
Ne pas se justifier et insister sur les aspects positifs de sa vie
Quelles que soient les intentions de cet entourage maladroit, poursuit Cécile Neuville, rien n'oblige quiconque à répondre aux questions indiscrètes. "Je conseille à mes patients de ne pas perdre de temps à se justifier." Une bonne solution pour désamorcer ces interrogatoires est, selon elle, de dévier la conversation, en l'orientant sur d'autres pans de notre vie: "Non, je n'ai toujours personne, en revanche je me suis lancée dans telle ou telle activité, ou j'ai revu tel ami, ou encore je m'éclate dans mon boulot." 
Autre alternative suggérée par Cécile Neuville, renvoyer la balle à son interlocuteur, une technique assez efficace en général pour éviter de rester sous le feu des questions: "Les gens adorent parler d'eux, donc on ne prend pas beaucoup de risque à répondre 'et toi?'!" Une tactique adoptée par Julien, 34 ans et célibataire depuis toujours, avec notamment sa soeur, "gentille mais assez lourdingue quand elle se met en tête de sonder mes états d'âme". "Je ne la laisse pas commencer et je me mets de suite à la noyer de questions sur sa vie, son boulot, ses enfants. Et ça marche!" Céline, 29 ans, a trouvé une autre façon de faire: "La dernière fois qu'une amie m'a demandé si vraiment je faisais tout pour trouver quelqu'un, je lui ai détaillé tout ce que je mettais en oeuvre, tous les garçons que j'avais rencontrés, les sites sur lesquels je m'étais inscrite, les activités que je pratiquais, etc. Au bout d'une demi-heure, elle n'en pouvait plus, elle ne s'y est plus jamais risquée!" 
Se focaliser sur ce que l'on veut
Au delà de ces anecdotes parfois amusantes, parfois moins, tant certaines paroles même prononcées avec de bonnes intentions peuvent être blessantes, il faut absolument "tenter de se détacher de ce regard extérieur et se centrer sur ce que l'on veut soi", conseille Cécile Neuville. "Je crois que d'une manière générale, quand les gens souffrent du célibat, c'est moins en raison de cette pression sociale que parce qu'ils ressentent un vide émotionnel ou affectif", observe-t-elle. "Les gens qui le vivent bien consultent rarement pour m'en parler, donc ceux que je vois sont plutôt ceux qui voudraient en sortir. Je leur conseille d'essayer de se focaliser sur d'autres relations, sur le temps de qualité qu'ils passent avec leurs amis, leurs collègues, dans la pratique d'un loisir, quel qu'il soit. Cela peut paraître cliché, mais c'est en effet lorsqu'on cesse d'être dans la quête de l'autre qu'on parvient à le rencontrer. Il y a beaucoup de façons de combler ce vide émotionnel, autrement qu'en se mettant en couple." Sophie Cadalen ne dit pas autre chose dans son ouvrage: "Si je suis convaincu(e) que le couple est l'unique issue possible pour connaître le bonheur, je m'interdis du même coup certaines rencontres incertaines qui pourraient m'apporter beaucoup." 
Faire le tri dans ses relations
Laura quant à elle n'a pas eu à subir la pression de ses amis durant ses années de célibat: "Ils étaient conscients que ça n'était pas si facile de construire une relation." En revanche, elle se souvient "de l'attitude de certaines femmes mariées et mères de famille, amies d'amies à moi qui en soirée ne m'adressaient pas la parole car je n'avais pas d'enfants". Au fil des années, confie-t-elle, "j'ai appris à fuir ce genre de personnes pour m'entourer de toutes sortes de gens avec ou sans enfants qui m'appréciaient telle que je suis." Hasard ou pas, c'est justement après avoir fait le tri dans ces relations toxiques que Laura, trois jours après ses 40 ans, a rencontré quelqu'un. Une histoire qui dure depuis deux ans.  
"À ceux qui ressentent la pression je leur dis que ceux qui vous la mettent ont simplement besoin qu'on adopte leur mode de vie, parce qu'ils pensent bêtement que c'est le meilleur ou parce qu'ils ont besoin d'etre rassurés sur le choix qu'ils ont fait, résume la jeune femme. Soyez vous-même, profitez de la vie même si ce n'est pas en couple, et ne laissez personne vous faire des leçons sur votre façon de vivre. Si vos amis vous aiment vraiment ce sont des souhaits qu'ils émettent et pas des remarques à la noix."




Par : Caroline Franc Desages
Sur : lexpress.fr