Chroniques

LA PLUME DU FAUCON

Vous trouverez ici plusieurs articles traitant principalement des tendances sociales reliées à la vie de couple. M. Leblanc est chroniqueur pour divers journaux et magazines et son style d’écriture a beaucoup fait parler de lui. Sujets chauds, saupoudrés d’humour, il aura bonne plume pour chacun des lecteurs.

CHRONIQUE
Savourer son célibat (publiée le 25 mai 2017)
Le célibat a un statut ambigu, synonyme de liberté totale ou de solitude pesante. Au-delà des clichés, cette période peut surtout être riche d’enseignements. La preuve par celles et ceux qui la vivent pleinement.

« L’allongement de la durée de la vie, alliée à la fragilité actuelle des couples, fait que, aujourd’hui, tout le monde a été, est, ou sera célibataire », constate Marie- France Hirigoyen, psychiatre et psychanalyste. Voilà qui aide à se sentir moins seul… Mais tous les coeurs solitaires vivent-ils la même situation ? Évidemment non. Le célibat s’appréhende différemment selon qu’il est choisi ou subi : « Vivre seul permet à certains d’explorer leur liberté, tandis relations que d’autres restent hantés par un amour perdu, observe la philosophe Chantal Thomas, auteure de Comment supporter sa liberté (Rivages, “Poche”, 2000). Mais la société vous range sous la même bannière, ce qui est très violent. » Selon son âge, le célibataire est regardé différemment. Avant 30-35 ans, il est considéré comme épris d’indépendance. Après, les regards deviennent soupçonneux. En particulier pour les femmes. Sylvie, 38 ans, le résume très bien : « Si vous vivez seule, c’est que vous êtes invivable ! » Ou alors, que vous avez été abandonnée… Et si ces poncifs avaient vécu ? Et si cette période de célibat était l’occasion d’apprendre à mieux se connaître, à apprivoiser sa solitude, à mieux cerner ses vrais désirs pour aller, peut-être, vers un nouvel amour plus satisfaisant ?
Un laisser-aller agréable
Première recommandation : se mettre à l’abri des conseils que l’entourage prodigue. Le célibataire est la proie rêvée des donneurs de leçons et autres amateurs de « tu devrais ». « Il est important de rester à l’écoute de son propre désir, met en garde la psychanalyste Sophie Cadalen, auteure avec Sophie Guillou de Tout pour plaire… et toujours célibataire (Albin Michel, 2009).. Personne ne peut nous imposer une manière de jouir de la vie. C’est même très contreproductif : quand notre surmoi, toujours soumis à la morale extérieure, nous ordonne des jouissances, le ça, réservoir de nos désirs personnels, lui tire la langue et lui répond : “Je resterai affalé devant la télé si ça me plaît !” »
Claire, 30 ans, a passé sa première année de solitude terrée dans son appartement, à regarder en boucle des séries : « Plus c’était débile, plus je regardais ! » Lucas, 39 ans, a vécu dans un capharnaüm indescriptible après huit ans de vie de couple avec une maniaque de l’ordre. Commentaire de la psychanalyste : « C’est excellent ! Le temps du célibat permet de se débrider, de se reconnecter avec ce que l’on a de plus archaïque en soi et que l’on avait refoulé du fait de la vie à deux. Cette période aura forcément sa limite. Un beau matin, Claire aura envie de sortir, Lucas, de ranger son appartement. » Beaucoup de célibataires se privent, se freinent, de peur de se perdre, comme s’ils se méfiaient d’eux-mêmes. Dommage, car se laisser vivre quelque temps est la seule façon de cerner vraiment ses besoins. Encore faut-il se l’autoriser.

« Le célibat ? Faire ce que je veux, où je veux, quand je veux, avec qui je veux », lance en riant Florence, 50 ans, dix ans de vie en solo, après une vie de couple entamée à 18 ans. Une vision joyeuse que ne partagent pas tous les célibataires. « Rien de plus difficile à supporter que sa liberté, confirme Chantal Thomas. En couple, les personnes se plaignent souvent d’en manquer, mais une fois seules, elles n’en profitent guère, comme si cela leur faisait peur. »
Pourquoi ? « Une fois libérés de la contrainte de la vie à deux, nous voilà sommés d’assumer nos propres choix, explique Sophie Cadalen. Nous préférons rêver notre vie que la vivre, parce que passer à l’acte nous entraînerait vers l’inconnu. C’est une façon de garder le contrôle. » Et puis, si le célibat est mal vu, la liberté l’est encore plus. Elle fait même grincer des dents autour de soi : « Depuis que nous avons opté pour la garde alternée, j’ai une semaine pour moi, et mes amis me poussent sans arrêt à trouver quelqu’un de stable, s’amuse Isabelle, 38 ans. Je les soupçonne fortement d’être jaloux de ma liberté. » Pour pouvoir la savourer, il s’agit d’abord de l’assumer…

Un face-à-face enrichissant
Comme Chantal Thomas le rappelle, « la norme, c’est le couple, et le bonheur implique forcément de vivre à deux. Tel est le message véhiculé par les médias, notamment les magazines féminins ». Même dans les séries qui mettent en scène des célibataires, ces dernières passent leur temps à chercher l’âme soeur. « C’est un peu comme si, en l’absence d’un amour, nous n’avions plus de valeur, analyse Marie-France Hirigoyen. Il existe aujourd’hui, chez nous tous, une véritable difficulté à rester seul. Pourtant, le célibat peut être l’occasion de développer des espaces de silence qui permettent de se nourrir intérieurement, de se sentir exister. Ils nous régénèrent. » Ils conduisent souvent à mieux se connaître. « Mes deux longues pauses m’ont beaucoup appris sur moi-même, raconte Carole, 42 ans. La première fois, j’ai réalisé que j’avais un réel problème avec les hommes – je suis d’une timidité maladive –, mais je ne l’ai pas pour autant réglé. Dix ans plus tard quand je me suis retrouvée dans la même impasse, j’ai entrepris une psychanalyse pour soigner mes fêlures. En couple, je n’aurais probablement jamais sauté le pas. » Sans nécessairement passer par une thérapie, la solitude est toujours un rendez-vous avec soi, une période propice pour faire le point sur sa relation aux autres et ses ressources réelles. « Nous ne pouvons plus nous poser de lapin à nous-même », synthétise joliment Chantal Thomas.

Un apprentissage de l’autonomie
Vivre seul permet aussi de développer son autonomie, sa singularité. « C’est particulièrement vrai pour les femmes, qui ont tendance, même encore aujourd’hui, à suivre l’avis de leur conjoint. Lequel impose son point de vue plus facilement, remarque Marie-France Hirigoyen. Seules, elles se rendent compte qu’elles sont capables de penser par elles-mêmes. » Sur le plan purement logistique, en raison de la répartition traditionnelle des tâches, hommes et femmes sont parfois désemparés… dans un premier temps. Éric, 37 ans, s’est rendu compte qu’il ne savait même pas faire tourner une machine à laver. Puis, « après quelques catastrophes, dit-il, je suis devenu un pro du programme couleur ! » Même constat pour Stéphanie, 40 ans, qui a dû apprendre à fixer une étagère. « Aujourd’hui, je suis ravie, je sais même changer une roue », se félicite t- elle. Pour le psychiatre Christophe Fauré, auteur d’Ensemble mais seuls (Albin Michel, 2009), ces satisfactions n’ont rien d’anodin : « Elles renforcent l’image de soi, souvent écornée à la suite d’une séparation. Ce sont des petits cailloux qui aident à relever la tête. J’y vois un autre avantage : cette autonomie permet de faire le point sur ce que l’on cherchait jusqu’à présent auprès d’un homme, d’une femme. Une maman ? Un homme à tout faire ? À méditer. »



Un face-à-face enrichissant
Comme Chantal Thomas le rappelle, « la norme, c’est le couple, et le bonheur implique forcément de vivre à deux. Tel est le message véhiculé par les médias, notamment les magazines féminins ». Même dans les séries qui mettent en scène des célibataires, ces dernières passent leur temps à chercher l’âme soeur. « C’est un peu comme si, en l’absence d’un amour, nous n’avions plus de valeur, analyse Marie-France Hirigoyen. Il existe aujourd’hui, chez nous tous, une véritable difficulté à rester seul. Pourtant, le célibat peut être l’occasion de développer des espaces de silence qui permettent de se nourrir intérieurement, de se sentir exister. Ils nous régénèrent. » Ils conduisent souvent à mieux se connaître. « Mes deux longues pauses m’ont beaucoup appris sur moi-même, raconte Carole, 42 ans. La première fois, j’ai réalisé que j’avais un réel problème avec les hommes – je suis d’une timidité maladive –, mais je ne l’ai pas pour autant réglé. Dix ans plus tard quand je me suis retrouvée dans la même impasse, j’ai entrepris une psychanalyse pour soigner mes fêlures. En couple, je n’aurais probablement jamais sauté le pas. » Sans nécessairement passer par une thérapie, la solitude est toujours un rendez-vous avec soi, une période propice pour faire le point sur sa relation aux autres et ses ressources réelles. « Nous ne pouvons plus nous poser de lapin à nous-même », synthétise joliment Chantal Thomas.

Un apprentissage de l’autonomie
Vivre seul permet aussi de développer son autonomie, sa singularité. « C’est particulièrement vrai pour les femmes, qui ont tendance, même encore aujourd’hui, à suivre l’avis de leur conjoint. Lequel impose son point de vue plus facilement, remarque Marie-France Hirigoyen. Seules, elles se rendent compte qu’elles sont capables de penser par elles-mêmes. » Sur le plan purement logistique, en raison de la répartition traditionnelle des tâches, hommes et femmes sont parfois désemparés… dans un premier temps. Éric, 37 ans, s’est rendu compte qu’il ne savait même pas faire tourner une machine à laver. Puis, « après quelques catastrophes, dit-il, je suis devenu un pro du programme couleur ! » Même constat pour Stéphanie, 40 ans, qui a dû apprendre à fixer une étagère. « Aujourd’hui, je suis ravie, je sais même changer une roue », se félicite t- elle. Pour le psychiatre Christophe Fauré, auteur d’Ensemble mais seuls (Albin Michel, 2009), ces satisfactions n’ont rien d’anodin : « Elles renforcent l’image de soi, souvent écornée à la suite d’une séparation. Ce sont des petits cailloux qui aident à relever la tête. J’y vois un autre avantage : cette autonomie permet de faire le point sur ce que l’on cherchait jusqu’à présent auprès d’un homme, d’une femme. Une maman ? Un homme à tout faire ? À méditer. »

Une disponibilité retrouvée
« Parmi les célibataires, beaucoup se plaignent de leur solitude, sur le mode “personne ne m’aime” alors qu’il serait plus juste de dire qu’ils n’aiment personne », souligne Marie-France Hirigoyen. Le célibat est une chance pour faire de nouvelles rencontres, à condition de savoir s’ouvrir aux autres. « Depuis mon divorce, j’ai fait connaissance avec les gens de mon quartier, je suis notamment devenue amie avec ma voisine de palier, confie Murielle, 45 ans. Elle a 70 ans et a vécu dans de nombreux pays étrangers. Le soir, elle m’invite à déguster des plats exotiques. Elle convie parfois un étudiant qui vit seul à l’étage du dessus. Avant, je ne les avais pas vraiment remarqués. » Normal, selon la psychiatre : « Le couple se suffit et a tendance à se replier sur lui-même. Seul, nous ne faisons pas le même type de rencontres, nous avons une disponibilité qui attire les autres. »
Encore faut-il garder les yeux ouverts. Indéniablement, le célibat rend plus exigeant : « Quand les femmes se remettent en couple, elles sont devenues plus critiques, moins influençables », ajoute Marie-France Hirigoyen. Isabelle confirme : « Cette période m’a donné une belle assurance. Je me suis rendu compte que l’on y survit très bien. Je sais que si une relation ne me convient plus, je n’hésiterai pas à partir et je n’attendrai pas que la situation dégénère comme dans mon couple précédent. » Quant à Murielle, qui vient de retrouver un compagnon, elle ne transigera pas sur ses plages de solitude : « Je sais désormais que j’en ai besoin pour mon équilibre. J’aime aller au cinéma seule, voir certaines de mes amies en tête à tête. Dans mon précédent couple, Laurent supportait mal que je ne fasse pas tout avec lui. » Lucas, après de multiples rencontres peu satisfaisantes, ne cherche plus de femme à tout prix. De toute façon, sa vie lui convient et, conclut-il, « Lacan disait : “L’amour viendra de surcroît.” » Sous-entendu : la rencontre advient toujours quand nous ne l’attendons pas. Peut-être même grâce aux chances offertes par le célibat, si nous avons su les saisir.

Plus d’hommes que de femmes !
Sur un peu plus de 18 millions de personnes célibataires en France métropolitaine, selon l’Insee, 8,5 millions sont des femmes et 9,5 millions des hommes. La majorité a entre 25 et 39 ans. À Paris, une personne sur deux habite seule, contre une sur trois en province. Ces chiffres augmentent d’année en année. En 1980, 29,2 % des hommes et 22,4 % des femmes étaient célibataires. En 2009, ils sont passés respectivement à 40,9 % et 33,4 %.
« Je mets mon énergie là où je veux »
Renaud, 31 ans, plasticien et chanteur lyrique
« J’ai d’abord cru que mon célibat était synonyme d’échec. J’en souffrais. Et puis, j’ai compris que je pouvais m’épanouir autrement et que ma situation pouvait être source de paix intérieure. Donc de vitalité. Ce n’est pas un hasard si je parviens à gérer deux carrières ! Je mets mon énergie là où je veux, alors que lorsque j’étais en couple, elle était divisée. Je ne connais pas le bonheur du “bonsoir mon amour”, mais je connais celui de l’artiste. Mon art me nourrit. Être seul, c’est écouter mes désirs et vivre à mon rythme. J’ai le temps d’observer les passants – mon thème du moment – ou l’ombre du pinceau sur ma feuille. J’ai aussi le temps de travailler sur moi. Ma psychanalyse s’accélère : mes larmes coulent plus facilement. Bien sûr, partager mon quotidien me manque parfois. Mais je ne me sens pas seul. Je vis d’autres situations de couple : avec ma comptable, ma pianiste, mon agent, etc. Avec chacun, je dois m’accorder. Mon célibat attire la bienveillance. Si j’avais été marié, ma voisine ne serait jamais venue m’apporter son pâté de caillettes ! Et quand la solitude pèse, je fonce chez des amis respirer l’odeur du lait chaud et les cris d’enfants. Cela m’ancre sur terre. Je ne ferme pas la porte à une vraie rencontre. Mais aujourd’hui, je suis serein. »
Propos recueillis par Marie Le Marois.
www.renaudvincentroux.com.

« Je peux être complètement moi »
Cécile, 48 ans, assistante commerciale dans l'industrie, quatre enfants
« Dès que je suis devenue femme, j’ai éprouvé le besoin de trouver ma moitié. Il me semblait que le couple était l’accomplissement final. Je fusionnais avec mon mari, je vivais à travers lui. Après mon divorce, j’ai tellement souffert de solitude que j’éprouvais une douleur physique. J’avais l’impression d’être abandonnée, de ne plus servir à rien. Deux ans plus tard, j’ai à nouveau vécu l’amour, la dépendance vis-à-vis de l’autre, puis… la rupture. Aujourd’hui, je m’épanouis dans le célibat. Il me permet de me construire. Le déclic ? L’écriture et un livre, L’Esprit de solitude de Jacqueline Kelen, offert par une amie. Écrire m’a obligée à clarifier mes émotions. Le célibat est devenu synonyme de liberté, de disponibilité et d’ouverture. Quel bonheur de n’être liée à aucune obligation ! Je peux être complètement moi et écouter mes désirs. Je découvre le plaisir de faire les choses seule : aller au cinéma, lire, jardiner, bricoler, et même ne rien faire, parfois. Je ne m’oublie plus, je prends soin de moi. Je n’ai plus besoin de l’autre, des autres, pour exister. Plus besoin de plaire. Je me suffis à moi-même parce que je me suis trouvée. Sans doute le célibat m’a-t-il permis de devenir adulte… »
Propos recueillis par M.L.M.




Par : Bernadette Costa-Prades
Sur : www.psychologies.com